Passer 24 heures dans le plus ancien phare de France et le dernier en pleine mer à être encore gardienné, le phare de Cordouan : c'est la chance qui m'a été donnée au début de l'été 2021. Un privilège qu’aucun roi de France ne s’est jamais accordé !
Prêts pour la visite en immersion ? Suivez-moi...
Mercredi 2 juin, 16h. Ça y est ! Après 1 heure de traversée depuis le Verdon-sur-Mer, le phare de Cordouan se dessine, majestueux, devant mes yeux. Il faut dire que le voyage a été mouvementé...
À 7 km des côtes, le phare de Cordouan est situé sur un estran rocheux : après avoir effectué le plus gros de la traversée à bord d'une vedette, nous embarquons sur un bateau amphibie pour franchir les bancs de sable et nous approcher au plus près du phare.
16h30 : La visite guidée débute avec Pierre Cordier, l'un des deux gardiens du phare en service cette semaine.
Avec le groupe de visiteurs du jour, nous prenons la mesure de la grandeur de l'édifice, véritable château en mer dont la construction a débuté en 1584.
Chaque année entre avril et octobre, le phare de Cordouan, dont la gestion et le gardiennage sont gérés par le syndicat mixte pour le développement durable de l'estuaire de la Gironde (Smiddest) accueille près de 25 000 visiteurs.
Vers 18 heures, alors que la marée entame sa remontée, il est temps pour les visiteurs du jour de regagner les côtes. Pour moi en revanche, le privilège ne fait que commencer.
Tandis que le jour commence à décliner, seule (ou presque !) en pleine mer, je profite du calme pour assister au coucher de soleil depuis chacun des six étages du phare de Cordouan.
Arrivée au balcon de la lanterne, je prends conscience de ma chance. L'émotion est palpable et vient à s'emparer de tous mes sens...
La vue d'abord, panoramique et dégagée à 360 °. Je me situe ici à égale distance entre deux rives, celles de la Charente-Maritime et de la Gironde.
L'odeur délicate des embruns me confirme que je m'apprête à passer la nuit au large, entre la pleine mer et la terre.
Le silence absolu, lui, m'apaise tout autant qu'il m'invite à des réflexions presque spirituelles.
Mon âme toute entière ressent une grande quiétude.
Soufflant fort sur ma peau et sur l'eau, le vent vient me rappeler le milieu hostile dans lequel je me trouve et la vulnérabilité que peuvent éprouver les marins s'engageant dans l'estuaire de la Gironde, de nuit ou en pleine tempête.
Et pourtant, solidement amarré sur son rocher, le phare ne cille pas. Sous mes pieds, l'édifice construit il y a plus de 400 ans semble tenir sa promesse initiale : celle de guider et de protéger les marins.
C’est au sommet du phare, huit marches plus haut, que se trouve son organe vital : la lanterne, dont la présence vise d’abord à limiter les naufrages dans une mer alors sombre et souvent agitée.
Tour à tour allumé au bois, au blanc de baleine, au charbon, à l’huile et au gaz de pétrole, le feu de Cordouan est alimenté aujourd’hui à l’électricité.
Désormais, c’est une ampoule de quelques centimètres et de 250 watts seulement qui éclaire à 20 milles nautiques, soit près de 40 km à la ronde.
Si l’allumage de la lanterne est automatisé depuis 2010, son entretien est toujours dans les mains des agents de la subdivision phares et balises de la direction interrégionale de la mer (DIRM) Sud Atlantique, au ministère de la Mer.
Quelques étages plus bas, la marée montante commence à arriver à hauteur de nos pieds : il est temps pour Pierre de fermer les lourdes portes du monument.
Le temps est suspendu.
Classé monument historique depuis 1862, le phare de Cordouan est un véritable château en mer. Pilastres, chapiteaux, blasons à la gloire des rois de France, système de récupération des eaux de pluie taillé dans la pierre... il est un bijou architectural et culturel tout autant qu'une prouesse technique.
À la nuit tombée, il est temps pour moi de regagner mes pénates pour aller rêver aux belles surprises que me réservera la journée du lendemain.
Jeudi 3 juin, 5h40 : levée en même temps que le soleil, je suis bien décidée à profiter de la lumière matinale et de la marée basse qui ne durera pas, pour découvrir le phare sous un autre jour.
Il faut dire qu'entre le claquement des vagues sur l’enceinte du phare, les cris des mouettes et mon état d'excitation intérieure, le sommeil a été particulièrement léger.
Au milieu du Parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, l'estran rocheux sur lequel repose le phare de Cordouan abrite une biodiversité riche : on y recense plus de 74 espèces d’algues et 250 espèces animales !
Étrilles, lièvres de mer, anémones, hermelles, étoiles de mer…
Avec un peu de chance et de patience, il paraît que l'on peut même apercevoir sur les bancs de sable des gravelots, une espèce d’oiseau migrateur se nourrissant dans la vase et aujourd’hui menacé. Je n'ai pas cette chance aujourd’hui. Il me faudra revenir !
La météo de cette matinée n'étant pas propice à une longue promenade les pieds dans l'eau, je décide de retourner à l'intérieur pour profiter quelques heures encore de mes pièces préférées.
Dans l'appartement du roi, on trouve de nombreux hommages à Henri IV, Henri III, Louis XIV et Marie-Thérèse d'Autriche. Aucun d'entre eux, pourtant, n'a jamais daigné venir visiter Cordouan !
Au deuxième étage, le phare de Cordouan dispose également d'une chapelle royale à la décoration dense et soignée, la seule chapelle au monde à être installée dans un phare !
À partir du troisième étage, l'architecture change radicalement : non prévue initialement, cette surélévation du phare a été construite deux siècles plus tard, à l'époque Renaissance.
C'est au cinquième étage, dans la salle de veille entièrement lambrissée de chêne, que les gardiens passaient autrefois leurs nuits : grâce à un système de réflecteurs, ils pouvaient surveiller le feu depuis leur lit !
Dans ce havre de paix où les journées sont rythmées par le soleil et les marées, le temps passe à une vitesse singulière. Il est déjà l'heure pour moi de quitter ce lieu magique.
Le cœur chargé de souvenirs, je descends une dernière fois les marches centenaires en me faisant la promesse de revenir un jour.
Au revoir et ... merci, Cordouan !
Credits:
[ Texte : Mathilde Christiaens ] - [ Photos : Arnaud Bouissou / TERRA ]